Comédie en trois actes et neufs tableaux.
Crée au théâtre Édouard-VII le 18 janvier 1948 (100 représentations du 16 janvier au 25 avril 1948)
Critique
Pour sa réapparition sur la scène parisienne, M. Sacha Guitry a choisi de s'incarner en la silhouette boiteuse de M. Talleyrand. Ce n'est pas maladroit du tout. Et c’est, même, l'une des bonnes idées cyniques qui, depuis des années — hiatus en moins — nous amusent et nous plaisent en M. Sacha Guitry. J’aurais bien aimé pouvoir parler de ce « Diable boiteux » avec une objectivité entière. A quoi Sacha Guitry se refuse absolument. C’est, d’ailleurs, et de sa part, un aspect du courage. L’hypocrisie consisterait justement, en ce mas, à faire la fête, à feindre de tout ignorer de M. Sacha Guitry, de ces aventures, de ses mésaventures, et de son œuvre.
Quand un auteur dramatique en est à sa 111ème pièce, et qu’il emplit cette 117 pirèce d'allusions à son cas personnel, à quoi bon feindre de ne le pas entendre ?
J’ai donc entendu d'abord M. Sacha Guitry parler de M. Sasha Guitry. Il en dit, Indubitablement, du bien. Il le dit avec cette hauteur désabusée qui est l'une des meilleures parties de son talent. Il le dit, à mon sens, avec un peu d'insistance. Il a certainement assez d’amis empressés à le servir pour pouvoir se passer de ce plaidoyer personnel. Il s'y est abandonné, et je te regrette peur lui, parce que cela est privé de grâce, et, disons le, lourd. La pièce vient ensuite. C’est un découpage cinématographique de la vie politique de M. de Talleyrand-Périgord, duc de Dino. Je pense que ce qui a accroché M. Sacha Guitry à M. de Talleyrand, c’est, beaucoup moins que ses variations politiques, les bons mots qui ont rempli la longue vie de cet évêque.
Cela me semble prouvé par te fait que la pièce de M. Sacha Guitry est une sorte de « Talleyrandana » à peu près complet. Je croie, et je continue à croira, que le personnage de Talleyrand est plus complexe que celui d’un diseur de bons mots, — et quelle que fût l'insolence de ces bons mots — introduit par hasard en des cabinets de ministres, des Congrès internationaux, et des petits levers royaux.
Reste que l’on trouve, en ce « Diable boiteux », une utilisation fort amusants — encore qu’elle appartienne évidemment au genre cher aux revuiste», qui de 1814 à 1858, passionnèrent les lecteurs de journaux. Et qui, depuis tels, amusent leshistoriens. On ne peut qu'être très content de retrouver M. Emile Brain en empereur Napoléon ; et de découvrir Mme Lana Marconi en Madame Grand. De rencontrer Mme Fusier-Gir aux détours de Marie-Thérèse Champignon. Et de reconnaître, en des hasards et recoins, les bons acteurs que sont Maurice Teynac, Henry-Laverne, Philippe Richard, Robert Dartels, etc.
L’une des attractions du spectacle est la musique de Nelly Geletti, que l’auteur exécute au piano, et qui donne à l’auditeur la nostalgie des films muets ; vous vous souvenez ? Les hardiesses et chevauchées sur l’écran : et puis, dans la salle, un pianiste qui s’évertue, cela est une intention qui m’a touché. Les décors de Péné Renoux, et les couleurs et formes des costumes, et la mise en scène en général, attendrissent l’œil. Le public, au soir ou j'assistai au « Diable boiteux », a besoin d’un renouvellement que le temps ne manquera pas — heureusement — réaliser.
Jacques Lemarchand, Combat, le 22 janvier 1948