Argument
Elle rayonne d’intelligence, de charme et de malice. Il est heureux de vivre, content des autres et de lui. Si on lui demandait sa profession, il répondrait : " Faire l’amour ! " C’est peu dire qu’ils se plaisent. Quant au mari, un rustaud méridional, ils l’ont envoyé au diable, ou plutôt chez une diablesse de café-concert qui l’occupera un bon moment. Les voilà seuls enfin et la nuit est à eux. Mais une nuit d’amour, c’est bien peu lorsque, au réveil, on rêve de grand départ et de prolonger la folie merveilleuse pour toute la vie. Et le rêve s’accomplirait peut-être si un mot de trop ne venait tout gâcher. Une petite phrase insouciante et légère, cruelle et méchante... Mais non, la belle histoire n’est pas finie. Le dernier acte réserve encore le plus imprévisible des dénouements.
Critique
Faisons un rêve " est une charmante réalité Je ne connais pas d'auteur plus heureux que M. Sacha Guitry. Il n'a besoin que d'être lui-même pour réaliser des choses exquises. Il n'amuse pas, il s'amuse; le reste suit logiquement. Son talent est fait de sa bonne humeur. C'est un précipité d'observation fine, d'indulgence souriante, de philosophie nuancée. Il a les interprètes de son choix. Il connaît chacune de ses ressources, et son jeu est si sobre, si plein de vérité que les gestes ne font rien de mieux, rien de plus, bien souvent, que de prolonger la vie sur la scène. C'est son naturel et son esprit quotidiens qu'il offre généreusement.
« Faisons un rêve » est une aventure; une aventure de quarante-huit heures qui pourrait être telle de toute une vie. C'est un accrue dans une existance féminine, mais il est de ces déchirures qui vous font juger de la qualité d'une étoffe» C'est un accident, un rien, mais qui révèle tout l’esprît d'un homme et laisse voir, en profondeur, un peu de l’ame sentimentale d'une femme. C'est l’histoire d'une visite, d'une soirée et d'une nuit ; une petite chose, mais avec un mode d'expression si abondant que l'auteur en a nourri quatre actes sans une longueur. Quatre actes avec trois personnages, ce serait déjà un tour de force. Mais le troisième personnage est purement épisodique ; mais le second acte laisse M. Sacha Guitry tout seul avec le publie et le dernier est tout entier occupé par Mme Charlotte Lysès.
C'est une gageure, et l'auteur, l’acteur, son interprète la gagnent avec une si parfaite élégance que la salle fait succéder les ovations aux applaudissements. Comme dans tout le théâtre de M. Sacha Guitry, il y a là le rire, la boutade avec la philosophie en dessous qui la caractérise, l'observation juste, le mot qui s'ouvre comme un piège sur les sentiments les plus vrais, la joie rapide enfin qui permet de découvrir les horizons de la tristesse, et cela obtient comme à l'ordinaire un très joli succès. Le troisième rôle a été tenu par M. Raimu qui s'est montre excellent.
P. Boissie, Excelsior, le 4 octobre 1916