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Sacha Guitry, tout son univers, théâtre, cinéma, biographie, livres et citations

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L’Amour Masqué

Comédie musicale en trois actes
Partition d’André Messager
Livret de Sacha Guitry
Crée au théâtre Édouard VII le 15 février 1923 (232 représentations du 14 février au 18 novembre 1923)



Argument

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Yvonne a vingt ans. Elle est riche, grâce aux libéralités de deux protecteurs, qu’elle n’aime pas. Son cœur est à un jeune inconnu, dont elle a dérobé l’image chez un photographe. Prévenu par celui-ci, le propriétaire de la photographie vient la réclamer ; Yvonne ne sait pas que l’épreuve dérobée date d’il y a vingt ans ; elle prend le visiteur pour le père du jeune homme dont les traits l’ont frappée, et le prétendu père feint d’admettre l’existence du fils, grâce auquel il entrevoit qu’il pourra faire avec succès sa cour. Il prévient Yvonne que ce fils, un peu original, aime le mystère et apparaîtra masqué au bal qu’elle donne le soir même. Il va sans dire que c’est le prétendu père qui arrive sous le masque et se fait passer pour le fils. Après bien des péripéties où l’on voit les deux servantes d’Yvonne prendre l’aspect même de leur maîtresse (ainsi l’amour est trois fois masqué), où l’on voit un membre de l’Institut servir d’interprète à un maharadja, tout finit pour le mieux. Yvonne s’éprend du père à défaut du fils, avec d’autant plus de facilité qu’elle reste ainsi fidèle à son idéal, qui est d’avoir deux amants. (La pièce portait primitivement le titre de : J’ai deux amants.) Mais ces deux amants, elle les trouvera dans le même homme.


Distribution

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Actrice-Acteur Personnage
Yvonne Printemps Elle
Sacha Guitry Lui
Marthe Ferrare 1ère servante
Marie Dubas 2ème servante
Louis Maurel l’Interprète
Urban le Baron
Pierre Darmant le Maharadjah


Critique

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Lorsque Mme Yvonne Printemps vint nommer les auteurs, elle désigna tout d’abord aux applaudissements du public, M. André Messager. Geste charmant d’une maitresse de maison « qui sait recevoir ». Assurément: Mais aussi, et sans qu ‘elle s’ en doute, “hésitation sur là part qui revient à chacun d’entre eux et sur l'ordre où il convient de les citer. En vérité, deux voix jumelles prononçant les deux noms dans le même instant. A la manière de deux galants hommes qui, après s'être fait mille politesses devant la porte, s'offrent le bras et franchissent le seuil de conserve. |

Il en est ainsi dans l’Amour masqué.

Dès les premières mesures, on retrouve la veine heureuse à laquelle nous devons la Basoche, Véronique et les Petites Michu. C'est là du meilleur Messager, reconnaissable entre tous, personnel s’il en fût par ses brisures rythmiques, sa grâce impondérable, ses inflexions caressantes qu’aucune fadeur n’alourdit.

Et quelle leçon cet adorable artiste, ce musicien hors de pair, rompu à toutes les audaces, à toutes les complexités, donne à tous les faiseurs d’opéras ! À ceux du moins qui s'épuisent dans une tâche pour laquelle ils ne sont point faits. Rien de la « sottise magnifique », comme disait Saint-Evremond, de l’opéra. Point de langueur sur tout. Et point d'effort. Une nature qui s’exprime à sa guise sur le mode qui lui convient, qui dit de ravissantes choses, parfois badines, parfois tendres, toujours spirituelles. Et il y a dans ces propos qui coulent de source et qui sont exquis, plus de substance, d'accent, de sensibilité touchante, de science aussi et de savoir-faire que dans maints ouvrages ambitieux et pesants. Ici, tout est distinction et la désinvolture n'est qu'apparente. Chacun des traits piquants, chacune des mélodies dont s'orne cette partition ravissante, fuit d'un zèle égal toute fadeur et toute vulgaire négligence.

Dès le premier air que chanté avec quel art ! Mme Yvonne Printemps, les nuances et l'atmosphère sont fixées. Par la coupe de cet air, par la chute de ses couplets, la pointe d'ironie qui en voile discrètement le sentiment, le musicien s’incorpore à l'intrigue et en avive le délicat coloris. Ici règnent la vivacité et l'esprit. Comme dans cet adorable petit chœur si relevé de rythme qu'on entend au premier acte, comme dans le duetto du troisième entre l’interprète et la servante, comme dans le grand ensemble du même acte.

Le duo parlé et chanté du deuxième acte n'est pas dé la même essence : celui-là s’infléchit davantage et reflète toute l'âme sensible et tendre du musicien. On retrouve cette expression dans l'air du Maharadjah ; dans le prélude du troisième acte développé sur le même thème.

Quoi de surprenant si cette œuvre vivante, toute de grâce et d'esprit, si ces rythmes bien frappés, si ces fraîches mélodies. sont allés aux nues ! Presque tous les . ‘morceaux de la partition ont été bissés. Les interprètes ont, eux aussi, leur part de ce grand succès. Interprètes fort brillants et dont l'une est de qualité exceptionnelle. M. Louis Maurel a bien de l'esprit dans le rôle de l'interprète ; M. Urban, qui joue le Baron à là voix caressante qui convient à son personnage; M. Pierre Darmant chante fort bien l'air important qui lui est confié ; Mlle Ferrare a du charme et Mile Dubas de la vivacité. Quant à Mme Yvonne Printemps, j'ignorais et quelques autres avec moi qu'elle eut un tel talent de chanteuse. Elle chante simplement;elle possède des qualités vocales qui sont délicieuses ; elle sait exprimer, évoquer et émouvoir. Peut-être sait-elle tout cela parce qu’elle chante comme on parle ; comme elle parle du moins, c'est-à-dire avec l'intelligence d’un cœur sensible et fin.

Je n'ai jamais tant regretté que M. Sacha Guitry ne chante ni ne compose. J'aurais tant voulu le remercier des plaisirs délicats qu'il nous dispense. Ils sortent du domaine de la musique pour rentrer dans celui de la comédie, de la poésie, de la vie. et de l'ingratitude.

Robert Brussel, Le Figaro, le 16 février 1923

Parlant du livret de l'Amour masqué, M. André Messager déclarait, dans une « avant-première » : « C’est une pièce de Sacha Guitry, semblable à toutes celles qu’il écrit ; mais celle-ci prêtait à la -musique. » On ne saurait porter un jugement plus exact.

Le « livret » de M. Sacha Guitry est une comédie. L'auteur de Je t'aime, d'une petite main qui se place et de plus de cinquante autres ouvrages que nous avons également applaudis, aurait pu s’il n’avait eu l'élégante pensée de doubler notre plaisir — traiter en « comédie parlée » l'intrigue qu'il avait choisie. Elle-est de la même qualité que celle de ses œuvres précédentes ; nous retrouvons dans le développement restreint qu'il lui a volontairement donné (il fallait réserver sa place à la partition) les mêmes dons d'esprit et de tendresse, d’ironie ‘et d'émotion qui forment par leur apparente contradiction le talent si personnel de M. Sacha Guitry, sous l'humour duquel nous discernons, grâce à lui qui nous conduit, une si vive sensibilité.

Une jeune femme a deux amants qui, chacun, se croit « de cœur ». Devant eux, elle est ce qu'elle doit être : coquette, habile et naïvement cynique. Mais elle a vingt ans, et vingt ans c’est, malgré tout et si accueillante que soit une alcôve, l'âge où le cœur: s’il a dit son dernier prix, n’a pas dit son dernier mot. La veille, chez le photographe, Elle a vu la photographie d’un monsieur : un inconnu, en qui elle a immédiatement reconnu celui qu'elle attendait. Comme on refusait de lui vendre cette photo, elle l'a emportée, tout simplement.

Elle sait bien qu’il viendra la réclamer. Il vient. Mais cette photographie n’était pas d'hier, ni même d'avant-hier. Depuis, Il a vieilli. Elle se trompe et lui dit : « Vous êtes son père ! » Il n’a pourtant que quarante ans, ou presque. Elle est jolie : il l'aime déjà. Mon fils viendra ce Soir, chez vous, masqué !

Idée charmante. A l'être jeune qui l’appelle, Il va donner l'illusion qu'il a son âge. Il Sera, ce soir, son propre fils. Peu de répliques nous expliquent ce qui se passe dans l’âme de cet homme, qui va être aimé sous un visage qu’il emprunte à lui-même et qu’il restaure à son profit. Maïs le jeu de M. Sacha Guitry éclaire ces répliques, et nous comprenons ce qu'il y a de mélancolie et d’amertume sous cette fiction à laquelle souscrit l'amant qui craint d être trop vieux.

Une rose leur permettra de se joindre, pendant le bal. Ils s’uniront dans un instant, pendant que les deux servantes marivaudent avec les deux importuns qui continuent à se croire « de cœur. ».

Au dernier acte, il faudra bien que lumière se fasse. Il est venu, avec ses quarante et quelques années, rompre au nom: de celui qui s’est montré digne d’avoir vingt ans, il ne rompra, pas.-Elle subit déjà la séduction : de cet homme qui lui semble encore étranger. Une.communication téléphonique qu‘ écoute auprès d’Elle le réduit, à l'aveu. Elle aura deux amants, sans doute, mais dans une seule et même personne : Il a quarante et quelques années au grand jour ; avec le masque de la nuit, Il est bien l'amant qu’elle voulait.

On conçoit tout ce que M. Sacha Guitry a pu déduire de cette idée subtile et délicate. Cette fois, c'est en vers qu'il a écrit : ces vers sont de ceux qu'aurait aimés La Fontaine — simples, aisés, si naturels qu'on n'y penserait pas, sans la rime qui vous rappelle à l’ordre ; des vers où la fraîcheur des sentiments se rehausse de la fraîcheur de la forme et qui sont, eux-mêmes, une mélodie.

Comme nous applaudissions avec l'ardeur de notre enthousiasme, M. Sacha Guitry a souri à M. André Messager qui se tenait au pupitre. M. André Messager a du lui sourire à son tour, car si le librettiste pouvait être fier du musicien, le musicien devait être satisfait du librettiste.

Maxime Girard, Le Figaro, le 16 février 1923


Journal

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Le Figaro, le 16 février 1923
Le Figaro, le 16 février 1923