Critique
J'aime infiniment la manière dont M. Sacha Guitry se promène dans les corridors de la petite histoire : il y furette et y flâne, y découvre un objet inattendu, une indication pittoresque, un épisode séduisant, y . recueille un mot savoureux, en . invente deux ou trois autres, escamote ici, brode ailleurs, saupoudre l'ensemble de ton sachaguitresque et ravit son auditoire, à la manière délicate et péremptoire qui lui est propre. Il résulta jadis le tout céda quelques réussites.
II s'est, cette fois, attaché à la figure charmante et passionnée de la grande cantatrice Marie Malibran. « Cela nous vaut de plaisantes visions romantiques ; Jean Cocteau en Musset, Jacques Casteilot en Lamartine, de bons mots de Vlctor Hugo, de bonnes répliques de Rossini. une entrée en or de Lafayette... et un Edouard Malibran somptueux, insolent et subtil, bizarrement joué par l'auteur et riche en formules délectables... Cependant, l'essentiel n'y est pas.
Tout cela, tourne autour d'un personnage central qui manque d accent et de relief. On ne peut rendre responsable de ce fléchissement la seule Interprétation de la protagoniste : Mme Géori Boué, qui est pourvue de toutes les qualités souhaitables à une chanteuse, aura évidemment besoin d'un autre film pour nous prouver qu'elle possède aussi celles que l'on attend d'une héroïne de l'écran. Mais ill faut bien convenir qu'ii lui était difficile de communiquer la flamme de Marie ,Mali-bran aux épisodes cahotés, éparpillés, parfois sans utilité et souvent sans force qu'on lui fait jouer... Cependant, belle interprète des grandes morts du répertoire lyrique, elle a fort bien réussi la mort de . la Malibran. Cette mort est l'un des meilleurs moments du film. Avec la naissance et l'enfance qu'ont de la verve et de la couleur grâce au pittoresque du ménage Garcia et de ses deux excellents interprètes, Mona Goya et Mario Podesta : jolie équipe pleine d'esprit, de vie et de bel canto...
De bons acteurs peuplent furtivement cette évocation de Marie Malibran où ne passe guère le frémissement exceptionnel qui fut certainement le sien : Jean Debucourt, Suzy Prim, Denis d'Inès, Jacques Varennes, Jeanne Fusier-Gir et combien d'autres sont utilisés mais non point employés. Ravissante apparition de Geneviève Guitry ; charmante et fine adatation de Jean Weber; fugitives apparitions de Robert Favart, Marcel Levesque, Gabrielle Dorziat. Le beau Jacques Jansen, baryton et violoniste, joue la comédie sans maladresse. Le cinéma devrait s'inquiéter davantage de ce jeune premier...
Mme Géori Boue chante, au cours du film, des airs fort bien choisis. Mais l'enregistrement a parfois trahi son chant, lui a enlevé de la pureté, de l'éclat. La voix de Mario Fodesta a eu pl.ua de chance et est passée dans le micro avec toute sa science et tout son soleil. Mais nous eussions aimé entendre l'air du Barbier tel que Géori Boué sait le chanter... Ce film semble avoir été techniquement assez malchanceux ; il présente, d'autre part, une photographie très irrégulière.
Françoise Holbane, Paris-Midi, le 14 mai 1944
Citation
En vérité, c’était mieux que cela. Car elle avait peut-être une voix seulement belle, mais ce qui la rendait inestimable, unique, c’est que Marie donnait un peu de sa vie à chaque note qu’elle faisait.