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Sacha Guitry, tout son univers, théâtre, cinéma, biographie, livres et citations

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Jusqu’à nouvel ordre

Édition Maurice de BRUNOFF, Paris 1913



Présentation

Un recueil de pensées issues d’articles de journaux. Les thèmes abordés sont l’argent, la santé, l’amour, le travail, l’orgueil, la fantaisie, le courage...


Critique

M. Sacha.Gurtry est un moraliste. Cette vérité éclatait dans ses pièces ; elle s'affirme de nouveau dans le petit volume qu'il vient de publier! Le titre, Jusqu'à, nouvel ordre,. semblerait indiquer un ouvrage d'attente et l'essai d'un auteur. qui ne se croit pas encore sûr de sa philosophie. Mais c'est pure modestie. Les idées du penseur; s’ordonnent avec méthode ; elles composent un tout harmonieux ; oh y retrouve exactement le même genre de sagesse qu'on admirait dans le Beau Mariage et le Veilleur de nuit.

Les premières pages sont consacrées aux Biens de fortune. « Nous ne pensons qu'à l'argent. Celui qui en a pense au sien, celui.qui n'en a pas pense à celui des autres.. » Il y a bien un chapitre suivant, relatif à sa Santé, qui n'est formé que de ces trois mots l ! « Ça', c'est tout ». ; M. Guitry, qui. n'est pas malade et,qui ne saurait pas l'être, parce que « ça le rend malade :»; M. Guitry ajoute avec raison : « Nous.hésiterions à compromettre notre fortune pour affermir notre santé, et nous n'hésiterions pas à compromettre notre santé pour doubler notre fortune. »

Les moralistes ordinaires dissertent longuement sur l'amour. C'est à peine si M. Guitry en prononce le nom. Il n'aime pas Venise et comme un ami lui disait : « Vous verrez, mon vieux, plus tard... quand vous aurez eu de la peine... », il s'est contenté de répondre: Je n'aimerai donc jamais Venise. Voilà un homme bien assuré.

L'argent, la santé, l'amour nous procurent des plaisirs, mais nos plus grandes joies nous viennent du travail. « L'homme qui mange n'est pas toujours beau, l'homme qui pleure est parfois laid, l'homme qui aime est souvent grotesque, l'homme qui meurt est d'ordinaire affreux, mais l'homme qui travaille n'est jamais ridicule. Qu'il repasse un couteau ou qu'il cire des bottines, son geste est naturel et n'est jamais vulgaire. » Cette considération esthétique a peut-être sa valeur, on doute pourtant qu'un millionnaire se console de cirer des bottes par la pensée que son geste est naturel.

L'orgueil est l'arme la plus puissante de l'homme : celui qui n'en a pas est plus infirme qu'un bossu. Il y a trois façons de le porter. On le porte comme une épée, ainsi que faisait Barbey d'Aurevilly; c'est magnifique, mais cela demande de l'allure. On le porte masqué; il prend alors le nom de modestie; mais les modestes font un mauvais calcul, car nous sommés toujours disposés à les croire négligeables. Enfin on le porte en soi; c'est la meilleure manière. Il faut l'avoir immense et l'entretenir sans cesse. « Si j'avais des pellicules, je serais fier de mes-pellicules» Gardons-nous seulement de la vanité; la-vanité est laide; la vanité, c'est l'orgueil des autres.

« On ne méprise pas : tous ceux qui ont des vices, disait La Rochefoucauld,mais on méprise tous ceux qui n'ont aucune vertu. » M. Guitry ne nous demande point de la vertu ; il nous conseille d'avoir un vice. On rencontre dans la vie une foule de gens estimables qui ne réussissent pas à nous être sympathiques. Qu'est-ce qui leur manque? Des qualités? On leur en trouve et même on leur en prête. Non, il leur manque un vice. « L'âme humaine est si bien équilibrée que, lorsqu'on possède un vice, on n'a pas de défauts. On a en soi une sorte de microbe géant qui détruit tous les autres. » M. Guitry cherche un ami intime. Aussi ne craindra-t-il point de le prendre un peu vicieux; il lui consacrera la moitié de sa vie et il veut que son ami lui consacre toute la sienne, qu'il ne soit pas marié et qu'il ne soit pas pauvre, qu'il n'ait point de talent, mais qu'il ait eu des dons, autre fois, pour qu'il lui reste du goût et de la conversation. M. Guitry tient beaucoup aux charmes de la causerie ; il veut donc que l'ami ne soit pas dur d'oreille et n'ait aucun défaut de prononciation. Et il lui souhaite un peu de fantaisie qui est « la première des qualités humaines ». Le moraliste des Maximes disait, dans une forme plus brève : « Nous ne pouvons rien aimer qué par rapport à nous. » Depuis deux siècles, les vues sur l'amitié n'ont pas beaucoup changé.

Quand l'altruisme a si peu de part à nos sentiments tendres, ce serait folie de le gaspiller pour les indifférents. « Il ne faut pas trop s'affecter du malheur des autres. Chaque fois qu’un homme meurt, ce n'est''pas nous. « Ainsi., des évènements les plus tristes le sage sait tirer une consolation.

Ne nous frappons pas. La morale du livre se résume en ces quatre mots. Elle n'est point destinée aux élèves des écoles; cependant, à tout prendre, elle ne diffère pas autant qu'on pourrait croire de-celle de La Fontaine. M. Guitry l'expose avec une candeur nonchalante et si persuasive qu'on se reproche quelquefois de penser comme lui.

Le Journal des débats politiques et littéraires, le 21 août 1913


Presse

Le journal des débats politiques, le 21 août 1913
Le journal des débats politiques, le 21 août 1913



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