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Sacha Guitry, tout son univers, théâtre, cinéma, biographie, livres et citations

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Quatre ans d’occupations

Édition de L’Elan, Paris 1947



Présentation

Ce livre retrace chronologiquement l’activité de Sacha Guitry pendant l’occupation. L’objectif de l’ouvrage étant de montrer ce qu’il fit réellement durant ces années. Lettres, documents, témoignages composent ce livre...


Critique

Nous ne l’écrivons pas sans peine, nous voudrions n’avoir point à l’écrire, nous ne pouvons ne pas l’écrire : le cas Sacha Guitry est pour nous réglé. Et tous les non-lieux du monde n’y changeront rien.

M. Sacha Guitry a plaidé sa cause, l’autre soir, salle Pleyel. Et il l’a perdue.

Tout est clair désormais, au moins pour nous, dans son histoire. Il nous a suffit de l’écouter deux heures durant M. Sacha Guitry a été accusé de collaboration, d’antisémitisme, de germanophilie. Il n’a pas eu grand mal à se débarrasser de cette triple accusation. Il a eu un non-lieu, deux non-lieux, je ne sais plus combien de non-lieux. Il n’en est pas moins jugé.

Il lui est facile de rappeler qu’une opérette de lui a été interdite par la censure allemande « parce qu’elle aurait été un véritable régal pour les gaullistes », facile d’en appeler à tous les israélites qu’il a secourus pendant quatre ans, facile de protester que seul auteur et acteur français, il a toujours refusé avant la guerre de laisser jouer et d’aller jouer ses pièces en Allemagne. Et jamais personne n’a eu l’idée que M. Sacha Guitry avait pu être un dénonciateur, ou un traître, au sens banal du mot.

Que si Ton reproche à M. Sacha Guitry son livre fameux, trop fameux, « De Jeanne d’Arc à Pétain », il a belle de citer les noms de ceux qui lui ont accordé pour ce livre leur « collaboration » (pardon!) : les Georges Duhamel, les Paul Valéry, les J.-J. Tharaud, les Colette, les J.-H. Rosny, les Léo Larguier, nous en oublions, et des meilleurs. Belle aussi de provoquer dans la salle amie devant laquelle il plaide « pro domo » une hilarité prolongée en s’écriant ; «Un seul des écrivains que j’ai approchés alors m’a refusé son concours : Abel Bonnard ! »

Il ne lui est pas plus difficile d’amuser la fine fleur du pétainisme avec des anecdotes habilement maquillées (moins le rouge aux lèvres) sur Fresnes, sur l’ingratitude de certains amis, la veulerie de Certains autres, l’inconscience d’anciens protégés, la platitude de tels confrères, la jalousie malveillante de tels rivaux. Quand M. Sacha Guitry fustige, de main de maître, l’ancien recteur Roussy, qu’il a la charité de ne pas nommer, nous n’avons nulle envie de défendre ce magnifique arriviste dont personne n’ignore plus la parfaite bassesse d’âme. Quand il nous lit au contraire un billet rapide de Pauline Carton disant sa fidélité à son ancien directeur enfermé à Fresnes, il nous plaît de féliciter et Pauline Carton et M. Sacha Guitry.

Quand enfin il nous conte les réactions du peuple de Paris, de l’homme de la rue, devant la première visite faite par Hitler au Sacré-Cœur, à l’Opéra, à la Tour Eiffel, au Trocadéro, nous lui savons gré d’avoir noté ces détails significatifs et qui comme il le déclare justement, n’étaient point réactions de vaincus. Mais quand il compare sa situation devant li Boche à celle de Gœthe reçu en 1808 à Erfun par Napoléon, il témoigne d’une inconscience singulièrement révélatrice, elle aussi, car M. Sacha Guitry n’est point Gœthe, Hitler n’était pas Napoléon, l’Allemagne de 1940 ne rappelait pas 1a Prusse de 1808, et les conférences d’Erfur n’avaient rien de commun avec l’Occupation d Paris. Mais nous sommes bien là au cœur même de l’affaire.

Oui, toute l’affaire Sacha Guitry vient précisément de ce que M. Sacha Guitry se croit Gœthe, et même un super-Gœthe. Au cours de cette autodéfense de deux heures, ce n’est pas une fois, mais dix fois, mais vingt fois, qu’il nous a parlé de son rayonnement mondial, de son prestige international, de son autorité européenne, vingt fois qu’il nous a dit quel bonheur ç’avait été pour la France et les Français que les Boches eussent trouvé à Paris un homme à qui ils n’osaient rien refuser, un homme qui pouvait tout leur demander, qui obtenait d’eux tout ce qu’il demandait, vingt fois qu’il a souligné, avec quelle odieuse satisfaction, quel orgueil abominable, que les Occupants savaient, eux, ce que représentait dans le monde un Sacha Guitry. out est là, croyez-nous. Rien que là. M. Sacha Guitry n’a pas eu d’ « intelligence avec l’ennemi », M. Sacha Guitry n’a pas travaillé positivement à la victoire allemande, M. Sacha Guitry n’a pas une goutte de sang français sur les mains (et, nous n’en disconvenons point, c’est bien quelque chose, en comparaison de certaines autres responsabilités), M. Sacha Guitry a rendu aux nôtres tous les services qu’il a pu leur rendre, M. Sacha Guitry n’est pas un homme méchant, ni, à plus forte raison, une de ces somptueuses canailles comme il y en eut trop à cette douloureuse époque.

Il n’y avait aucune raison valable, nous le disons parce que nous le pensons, de condamner M. Sacha Guitry au peloton d’exécution, aux travaux forcés ou à un quelconque emprisonnement. M. Sacha Guitry nous permettra-t_il à notre tour une anecdote ? Une femme de ménage parisienne voyait sa fille, une belle garcelette d’une vingtaine d’années, accusée d’avoir couché avec des Boches ; elle eut ce mot magnifique : « Et puis après ? les Boches étaient là. Elle eut aussi bien couché avec des Américains ! » M. Sacha Guitry aurait aussi bien couché avec les Américains, lui aussi. H nous l’a d’ailleurs dit ; il nous a conté comment, étant à Fresnes, il avait eu l’occasion d’adresser un message aux Etats-Unis. Et il avait l’air, en nous la contant, de trouver l’histoire très joyeuse, car M. Sacha Gutriy est un drôle. Mais non, en vérité M. Sacha Guitry n’est qu’un pauvre homme, monstrueusement infatué de ses dons, de ses succès, de sa fortune, de soi-même, et pour qui le mot France ne représente qu’un cadre, d’ailleurs beau, clair, de haut goût, mais rien qu’un cadre.

Ce qui blesse le plus aujourd’hui, tout le crie dans sa plaidoirie, ce n’est pas qu’on l’ait accusé d’avoir collaboré, c’est qu’on ait osé porter contre lui une quelconque accusation. La gravité du chef d’accusation ? Bagatelle ! Mais avoir osé pénétrer chez M. Sacha Guitry, s’être permis d’incarcérer M. Sacha Guitry, n’avoir pas hésité à interroger M. Sacha Guitry, avoir pousé l’irrévérence jusqu’à inviter M. Sacha Guitry à expliquer les faits et gestes de M. Sacha Guitry, voilà le crime inexpiable de la Résistance, de la Quatrième République, le crime de lèse-majesté, le crime qui nous sera reproché à travers les siècles. Qu’avait-il donc fait, en effet, de si affreux, M. Sacha Guitry, entre 1940 et 1944 ? Moins que rien : il avait pris son parti de la défaite, il ne voyait aucune raison de se rebeller contre le vainqueur, il s’efforçait benoîtement de s’installer dans le désastre, et d’y installer de son mieux ceux qui voulaient bien solliciter son aide, il ne parvenait pas à comprendre qu’on se trouvât torturé par la présence boche, il ne souffrirait point sous la botte qui d’ailleurs pour lui se faisait légère et caoutchoutée, il ne songeait pas que tout malheur, toute nuit ont une fin, mais qu’il est des revanches qu’il faut préparer, des aurores qu’il faut appeler, appeler de toutes ses forces, de tout son cœur. M. Sacha Guitry n’a pas mauvais cœur. M. Sacha Guitry n’a pas de cœur.

L.T., L'Ordre, le 22 octobre 1947


Presse

L’Ordre, le 22 octobre 1947
L’Ordre, le 22 octobre 1947


Citation

Ce singulier ouvrage où j’ai mis le meilleur de moi-même et le pire, je le dédie à mes amis. Et puisque, par bonheur, j’ai deux sortes d’amis : les meilleurs et les pures, je dédie le meilleur de moi-même aux meilleurs et le pire de moi, je le dédie aux autres.


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