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Sacha Guitry, tout son univers, théâtre, cinéma, biographie, livres et citations

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Soixante jours de prison

Édition L’Élan, Paris, 1949



Présentation

Journal de Sacha Guitry reprenant chronologiquement les soixante jours de prison suite à son arrestation à la libération de Paris.


Critique

Sacha Guitry publie le journal de sa vie de prisonnier. Un journal reconstitué, mais, affirme-t-il, fidèle, 664 pages. Non point composées en caractères d’imprimerie, mais clichées pour reproduire le manuscrit même. Un livre énorme, qui se lit en deux heures. Un simple récit, (qu’il dit) ?, un plaidoyer ? Non, répond ? Sacha. Une mise au point qui se fait d’elle-même par le simple récit de l’aventure qu’il vécut. Je ne me plains de rien, je ne nie défends pas, je n’attaque personne : je raconte. c’est tout... Je le fais sans passion, sans animosité... Je n’éprouve aucun ressentiment à l’égard de ceux qui, pourtant, à l’époque, nous ont témoigné tant de haine. Grandeur d’âme ? Pas tout à fait. Et si vous me demandiez la raison pour laquelle je ne leur en veux pas, je vous répondrais : « Parce qu’à ma sortie de prison, j’ai connu mieux que ça ! » Ce « mieux que ça » fera l’objet d’un troisième volume, qui s’appellera Trois Années de silence et que complétera peut-être « un divertissement dont M. Maurice Garçon, de l’Académie Goncourt, fera les frais, car ce ne seront pas toujours les mêmes qui paieront, » Coups de griffe Sacha Guitry n’attaque personne, mais il est cependant quelques uns de nos contemporains qu’il malmène avec un plaisir non dissimulé.

Quand il s’en prend nommément à quelqu’un, il est sévère. Une de ses plus dures attaques est pour l’auteur dramatique Jean-Jacques Bernard, qui fut, paraît-il, de ceux qui souhaitèrent sa condamnation. Sacha fait dire à quelqu’un qui il bavardait à Fresnes : Surtout, ne comptez sur personne et méfiez-vous de ceux que vous avez obligés pendant l’occupation... et ne commettez pas l’imprudence de dire que vous avez fait libérer Tristan Bernard. Qui sait si vous ne verriez pas son fils se dresser contre vous !... Croyez bien que ce n’est pas sans raison que je vous dis cela. Les asticots et les vipères ne savent plus où donner de la tête en ce moment et c’est un sauve-qui-peut général dans Paris. Lucien Descaves, une autre vieille haine de Sacha, n’a droit qu’à une citation — l’auteur de Sous-Offs se fait traiter de « raté », mais notre confrère Henri Janson est plus copieusement servi : cette espèce de voyou n’était avant la guerre qu’un diffamateur appointé, tripatouilleur de films et faiseur de calembours à deux sous la douzaine...

Confraternité... Sacha Guitry n’attaque personne.., Mais, un soir, au Dépôt, comme on lui a annoncé qu’il serait exécuté le lendemain à l’aube, il écrit qu’il ne prend pas cette menace au tragique. Ces « gens-là » ne le fusilleront pas, Non. Ah ! S’ils étaient des auteurs dramatiques - je suis sérieux en le disant, s’ils étaient des auteurs, j’y passerais sûrement. En vérité, je ne crois qu’aux haines confraternelles ou familiales. C’est sans doute pour cela qu’il réserve ses traits les plus acérés à André Brulé, son directeur à la Madeleine, au temps de N’écoutez pas, Mesdames. Rapportant une conversation qu’il a eue peu avant son arrestation, avec son ami Albert Willemetz, il écrit : J’en connais, c'est Willemetz qui parle, qui vont essayer de tout te mettre sur le dos. Ainsi, nous avons tous ouvert nos théâtres en 1940. Eh bien, je te fais le pari qu’il ne • sera question que de la Madeleine ! — Brulé en répondra, — En es-tu bien sûr ? —- Je ne suis pas fou. Mais enfin, il ne dira tout de même pas que c’est contre son gré que j’ai joué sur son théâtre ? -— Hum... — Il ne joue pas assez bien la comédie pour le faire croire! Décidément, pas gentil !

L’éternel Sacha Sacha Guitry, durant sa détention, maigrit de 14 kilos et Mary Marquet, qui le vit à Drancy, a tracé de lui, dans Cellule 209, un portrait où l’on retrouve difficilement l’homme qui fut « le plus brillant, le plus gâté de ce temps » : « C’est un vieillard. Son visage est blême. Une barbe blanche ou presque. Deux poches bleutées soulignent le cerne des yeux, deux yeux immenses où se réflète le summum de la souffrance morale, » Il ne semble pas, cependant, à lire son livre, que la captivité l’ait beaucoup changé. Il continuait à faire des mots et même des calembours — parlant de ce colonel de vingt-neuf ans, qui devait servir dans la Forfanterie, ou de ces visites que d’aucuns faisaient aux prisonniers et qui avaient toutes le même objet : acquérir la certitude que nous sommes bien là... et que nous y sommes mal. Et certaines des anecdotes qu’il rapporte paraissent directement sorties de son théâtre, Il y a celle du pauvre bougre qui lui conte qu’il a été arrêté sur la dénonciation de son concierge et lui révèle ensuite que ce concierge n’est autre que lui- même. Il y a celle de la grande dame qui arrive un soir à Drancy, à qui l’on désigne sa paillasse et qui dit : J’en voudrais bien avoir autre autre ?
Une autre ?
Une autre en plus.
Pour vous ?
Non, pour ma femme de chambre.
Elle est arrêtée aussi ?
Non, du tout. Mais j’ai bien l’intention de la faire venir demain.
Deux énigmes Sacha Guitry rend hommage aux amis qui lui sont demeurés fidèles — au vieux comédien Louis Gauthier et à Pauline Carton, en particulier — mais il ne cache pas qu’il a, de ce côté-là, éprouvé une amère déception : Je viens de faire la liste de ceux qui, dans la journée d’hier, ont dû intervenir en ma faveur. J’en ai noté quatre-vingt-deux. (Je ne m’étais pas trompé de beaucoup : quatre l’ont fait — un mois plus tard.) Mais il ne nomme pas celui dont le « lâchage » lui a été le plus douloureux, celui qu’il appelle son ami le plus intime... et qui a attendu six semaines pour lui faire parvenir une lettre dont il avait déguisé l’écriture et qu’il avait signée de façon illisible.

La Presse, le 11 avril 1949


Presse

La Presse, le 11 avril 1949
La Presse, le 11 avril 1949


Citation

- Car s'abstenir, ... , c'est admettre. - Je garde mon mépris pour les gens de mon monde.


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