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Sacha Guitry, tout son univers, théâtre, cinéma, biographie, livres et citations

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La troisième chambre

En collaboration avec Albert Willemetz
Crée au théâtre de la Madeleine le 30 octobre 1929 (157 représentations du 30 octobre 1929 au 11 mars 1930)



Argument

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Un avocat spécialisé dans les affaires de divorce devient amoureux la femme contre laquelle il a plaidé.


Distribution

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Actrice-Acteur Personnage
André Brule Jacques Bernier
Madeleine Lambert Madeleine Deschamps
Lucien Brulé Émile Deschamps
Louis Kerly Maitre Lagny
Jean Marconi un monsieur
Madeleine Berubet Marthe Rittier
Alerme Firmin
Jany Clairjane une femme de chambre
Apay une voix d’avocat
Irène Wells Lady Horpington
Huguette Sandry une dame


Critique

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Un avocat spécialisé dans les affaires de divorce devient amoureux de la femme contre laquelle il a plaidé. Voilà.. C'est tout ? Mais oui, c'est tout. Stendhal, dans ses récits de voyages, rapporte que, en une mine de sel, il a vu un brin d'herbe, un rameau, plongés dans l'eau sursaturée de chlorure de sodium en sortir bientôt couverts de cristaux, scintillants comme des arbustes sous le givre, comme des bijoux diamantés. Plus le rameau ajourne longtemps dans le liquide, plus sa charge miroite, rayonne. Ici, cette petite phrase a joué le rôle d'un rameau de cristallisation.

Cette situation a servi de point de départ aux scènes les plus brillantes, les plus. imprévus, les mieux conduites, et au dialogue le plus nourri et le plus savoureux. Aussi le succès a-t-il été sans réserves. Paris devait cette revanche à Sacha Guitry. Sa collaboration avec Willemetz a donné à cette œuvre un caractère particulier. Les fantaisies (Sacha Guitry, en même temps qu'une verve ailée, une bonne grâce vaporeuse et fantasque, ont une drôlerie irisée, nuancée de mille couleurs capricieuses qui s’épanouissent comme les reflets bigarré., du "ici sur la lagune de Venise, sur l'eau d'un pont où du pétrole fut répandu. Ici, le comique a pris quelque chose de plus robuste, et plus concret.

Il chatoie comme un cristal. C'est dans des prismes durs et limpides q v.e les rayons de drôlerie se réfractent. Ce caprice est devenu une architecture. La pièce, en même temps que des qualités,de pur vaudeville, offre une fermeté à laquelle Sacha Guitry ne nous a pas accoutumés. C'est dire que cette collaboration heureuse et féconde. D'ailleurs, comment ne serait-elle pas satisffaisante, cette union de deux éminents hommes de théâtre si bien faits pour tenir l'un de l'autre des qualités complémentaires .Je vous disais donc qu'un avocat. Arrêtons-nous. Cet avocat souffrez que je vous le présente. C'est un jeune maître du Barreau, le célèbre Jacques Bernier. Il a plaide près de cent fois, toujours victorieusement. Pourquoi ? Parce que, en défendant la cause des hommes trahis, il exprime les déboires dont il a souffert lui-même. Bien que jeune et séduisant, il a été victime ce la duplicité féminine.

Aussi réussit-il avec un bonheur plus éclatant que de coutume, le jour où il doit obtenir le divorce de M. Émile Deschamps dont la cause a tant de traits communs avec le malheur dont il a mesuré l'étendue. Quelle fougue ! quelle ardeur pour flétrir. Mme Deschamps ! quelle vigueur pour l'accabler ! Il rentre chez lui. On lui annonce une visite». « Faites entrer. » C'est Mme Deschamps Elle a été profondément, blessée par cette plaidoirie. Et elle a voulu le dire à l'avocat..

En même temps qu'elle l'accuse durement d'injustice et d'outrage, elle lui expose toutes les raisons pour lesquelles elle a quitté un mari égoïste, obsédé par des préoccupations professionnelles, i^orte de pacha qui se croyait quitte après un cadeau, un baiser sur le front, quelques mots distraits, ou un instant, de plaisir insoucieux de partage." A mesure que parle Mme Deschamps, elle plaide, elle aussi, la cause des femmes incomprises, avec des arguments que le tribunal, peut-être, ne considérerait pas, mais qui sont tout-puissants sur le cœur d'un homme sincère, surtout quand la plaideuse est jolie.

Mme Deschamps quitte la maison. Son souvenir ne quitte plus Lucien Bernier. Quelques jours après, il téléphone à cette visiteuse. Il sollicite un rendez-vous. Elle vient. Il est boule- verse. Elle s'en aperçoit, flattée, d'avoir troublé un homme aussi renommé, aussi séduisant. La déclaration éclate, avec une violence de querelle. Par une admirable image, de l'amour anima!, ces deux êtres sont à la fin attirés invinciblement l'un vers l’autre, et hostiles, comme le sont, dans Ici préliminaires de l'organisme, la plupart des mâles et femelles. Mais il ne faudrait pas croire que cette inimitié les sépare. Elle est le signe de leur rapprochement fatal.

Et la scène est bien jolie où Jacques Bernier, en présence du mari, obtient de ce dernier une pension alimentaire en faveur de la victime d’un jugement pension qui cessera le jour où celle-ci songerait à se remarier. Un « oui » prononcé par la femme est nécessaire, pour confirmer l'accord. Et ! on sent bien que ce « oui » emporte d'autre? acceptations dent le mari, une fois de plus, ne se doute guère. Oh ! je sais bien. Il est invraisemblable que cet amour réciproque soit si vite. Il est illogique que cette femme, au lendemain d'une telle désillusion conjugale, accepte de reprendre le joug, et de le reprendre' auprès d'un homme qu'elle ne connaît en aucune façon.

Mais je vous demande si1 les amoureux ont coutume de s'embarrasser d9 ce qui est logique ou non, et si la vie ne nous offre pas sans cesse des exemples de convenances perpétuellement bousculées. Entre les sens et le bon sens, l'accord n'a jamais été conclu. Et ce défaut de raison est peut-être le trait par lequel cotte exquise fantaisie se rapproche le plus de la vérité. Beaucoup des pièces de Sacha Guitry donnent l'impression d'une magnifique floraison décorant un treillage un peu fragile. Ici, l'édifice est d'une solidité rassurante. On sent, je le répète, qu'un technicien exercé a contrôlé les entrées et les sorties, la. progression de3 scènes, et que Sacha Guiltry a pu, à loisir, être tour à tour plaisant, baroque, ému, railleur, fervent, paradoxal, convaincu.

Et que de scènes secondaires, que de passages adventifs, que de personnages parasitaires nourrissent de séduisantes broderies la trame assurément sans grande ampleur ! Tantôt, c'est une sténo-dactylo, vieille fille disgraciée, que Mlle Madeleine Bérabet a jouée avec une articulation médiocre, mais une drôlerie irrésistible. Cette vierge rance mais volcanique, à force de vivre dans cette atmosphère d'amour, fait éruption: Et finalement on la coffre pour attentat à la pudeur dans le métro. Tantôt, c'est ce marchand d'appareils téléphoniques qui permettent, comme le théâtrophone transmet les représentations théâtrales, de recueillir les plaidoiries du Palais.

Et l'on assiste au spectacle ravissant de cet excellent M. Louis Kerely, au moment où se plaide son divorce, transportant, comme une valise, le haut-parleur d'où s'exhalent tous les griefs qu'invente contre lui l'avocat de sa femme. - Tantôt c'est une jeune Américaine, la spirituelle et délicieuse Mlle Irène Wells, qui vient exposer en un exubérant jargon, les raisons pour lesquelles elle veut reconquérir sa liberté conjugal. Tantôt c'est le valet de chambre de Jacques Bernier, le bouffon M. Alerme, qui promène, à travers ces quatre actes, des trouvailles d'un burlesque un peu factice et des petites minés à faire pâmer de rire. Mme Jany Clairjane, en une courte scène, et M. Lucien Brûlé, dans le rôle du M. Deschamps, furent fort bons. Mais je voudrais trouver des mots dignes. de Mlle Madeleine Lambert, à qui André Brûlé donna la réplique avec un art, une maîtrise, une séduction dignes de louanges chaleureuses. Mlle Madeleine Lambert est une de nos premières comédiennes.

Avec Blanche Montel, Madeleine Renaud, Yvonne Printemps, Alice Cocéo et Renée Devillers, elle mérite d'être nommée comme une des artistes actuelles que leur beauté et leur talent doivent imposer d'abord aux auteurs, lors d'une distribution. Sa grâce et sa séduction, la musique de sa voix, sa dignité, sa flamme et sa réserve, sa puissance contenue, le rayonne-ment de son sourire, tout cela est enchanteur. Mile Madeleine Lambert est, dans son expression la plus séduisante, la « femme », parvenue à son point de perfection. Combien je comprends que, cette créature aussi douée, on veuille la faire divorcer, quand on est soi-même célibataire !

Paul Reboux, Paris-soir, le 3 novembre 1929


Journal

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Paris-Soir, le 3 novembre 1929
Paris-Soir, le 3 novembre 1929