L'humour de M. Sacha Guitry, qui est également de l'humour authentique, suit d'autres procédés.. M. Sacha Guitry incline plus à dégager l'absurdité cachée (plus ou moins) dans la conduite humaine. Mais cette absurdité, chez lui, se déduit avec une logique rigoureuse de la réalité. On se rappelle le passage charmant, dans les Mémoires d'un Tricheur (2), où le médecin rencontre le jeune garçon qui vient d'échapper, seul de toute sa famille,-à un empoisonne- ment par champignons : « Il me vit, me regarda, me reconnut, n'en crut pas ses yeux et me dit : « — Eh bien. et toi ? « Et il y avait dans sa voix une surprise immense, avec un rien de blâme. » C'est ainsi que l'effet comique doit paraître à la fois impossible et inévitable, sentiment double et contradictoire qui provoque le rire. D'autres fois, le comique de M. Guitry porte sur les mots, sur leurs alliances et leurs oppositions. -A propos des tricheurs associés : « Vous êtes liés les uns aux autres par un secret qui représente vingt secrets — et celui qui veut s'éloigner risque, non pas sa vie, mais son existence. » Ici, la différence de signification fait contraste avec l'identité apparente des deux termes. D'autres fois encore, le comique résulte décidée elle-même, sans mécanisme verbal, comme quand il dit du joueur : « Il n'a pas gagné 1.000 francs — il a gagné ! » Ou bien, c'est l'image qui fait sourire par sa justesse originale, comme lorsque M. Sacha Guitry décrit le casino de Monte-Carlo : « Il a l'air d'une gare où l'on ne délivrerait de billets que pour une direction inconnue. »

Le comique de M. Sacha Guitry est orienté vers la poésie, dont il a souvent le charme. Ce roman, délicieusement illustré par l'auteur, est le premier roman de M. Sacha Guitry. Il est construit sur le registre du monologue. On entend l'auteur parier, dans un rythme d'improvisation, avec les coupures de la parole. Cela ajoute à l'effet comique, comme chacun a pu observer, la voix étant le plus sûr « avertisseur £ de l'effet qui vient. Le 'don du débit spontané, du cours de parole, si j'ose ainsi dire, est, on le sait, un des dons souverains de M. Sacha Guitry. Mais il est curieux d'observer que M. Tristan Bernard, lui aussi, « fait sentir » la parole, et que ses récits évoquent, eux aussi, le monologue. Il semble qu'il y ait là presque une loi du genre.

Ramon Fernandez, Marianne, le 25 septembre 1935

- Vivant parce que j'avais volé. De là à en conclure que les autres étaient morts parce qu'ils étaient honnêtes...
- Qui n'a pas vu onze cadavres à la fois, ne peut pas se faire une idée du nombre de cadavres que cela fait.